50 nuances de Grey (et surtout de force)

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Ces derniers temps, il fallait habiter une grotte pour ne pas subir la déferlante 50 nuances de Grey, surtout avec la sortie de l’adaptation du roman de E.L. James. Je ne suis pas hostile aux séries à succès, loin s’en faut, et je n’avais pas lu les livres. En outre, je connais des gens (bien) qui avaient apprécié, alors j’ai voulu tenter l’expérience. Au vu des critiques, je n’en attendais pas grand chose mais le mieux, c’est toujours de se faire sa propre idée.

Verdict : arrivée à la page 160, j’ai été forcée à l’abandon pour cause de torture littéraire aggravée (et je n’ai même pas signé de contrat avec E.L. James). Le résumé de ce libraire de Bayonne exprime parfaitement mon ressenti :

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L’histoire en elle-même, que tout le monde connaît, est encore ce qu’il y aurait pu être de plus intéressant, si elle avait bénéficié d’un traitement à la hauteur. Le problème, c’est que cette idée de départ se noie dans un océan de platitude et de banalités.

1- Les personnages, caricaturaux à souhait, ne sont jamais crédibles, E.L. James échouant totalement à leur donner la moindre épaisseur ou la moindre nuance (arf). En gros, Anastasia est une cruche élevée chez les Mormons (l’histoire ne le dit pas, mais ça ne peut être que ça) et Christian Grey est un odieux personnage, très beau (on le rappelle suffisamment), qui change d’humeur au gré(y) de la couleur de sa cravate (les fameuses nuances de « grey », donc).

2- La romance, qui aurait pu être passionnelle et emporter le lecteur, confine au roman Harlequin (j’en ai lu mais ne le dites à personne), l’hélicoptère blanc de Christian Grey remplaçant la Ferrari rouge de Steve. L’expression du désir de l’héroïne consiste ainsi à se mordiller la lèvre à toutes les pages, à se pâmer devant la beauté d’un Christian Grey irréel et à constater qu’elle a envie de rapports charnels avec lui. Bien. Et j’oubliais : à faire danser sa déesse intérieure aussi (ce qui au passage m’a fait éclater de rire, parce que ça m’a rappelé un épisode hilarant de Friends).

3- Et l’érotisme, me direz-vous ? Certes, E.L. James n’est pas avare en descriptions. L’ennui, c’est que ses scènes érotiques sont aussi excitantes qu’un épisode de la Cuisine des Mousquetaires. Pour preuve, l’auteure croit bon de mettre dans la bouche de son héroïne (arf) des « Haaaan, c’est trop érotique », au cas où on aurait pensé que Christian Grey préparait en réalité des anguilles au four. Pour avoir un point de comparaison, je suis allée farfouiller dans ma bibliothèque, et j’ai constaté que la moindre petite scène d’Emmanuelle ou d’un récit de Françoise Rey avait bien plus de puissance érotique que 50 pages de 50 nuances de Grey. Ainsi, de frisson, point.

4- Cerise sur ce gâteau déjà indigeste : le style. L’ayant lu en version électronique, je me suis demandé s’il ne s’agissait pas d’un brouillon ou d’une traduction maison tant le style est effroyable et le pouvoir évocateur des mots de E.L. James inexistant. Au niveau du vocabulaire, le livre se résume à une répétition inlassable des expressions suivantes :

  • Oh mon Dieu ! (à dire avec la voix d’Omar Sy, c’est plus drôle)
  • Putain (ou son cousin « merde », ou le combiné « putain de merde », auquel vient parfois se greffer l’incontournable « bordel »)
  • Mais qu’il est beeeeeaaaaaauuuuuuu !!!
  • Elle se mordillait la lèvre inférieure.
  • Il lui passa le pouce sur la lèvre inférieure (la même).
  • Il pencha la tête sur son épaule (l’histoire ne le dit pas non plus, mais Christian Grey a une malformation congénitale du cou, rattrapée au niveau de son entrejambe démesurée : « Quoi ?? Tout ça ?? » en dira Anastasia.)
  • Il explose en elle (ou elle explose autour de lui, nuance, on vous dit !).
  • « Là » (terme abscons désignant la caverne secrète d’Anastasia)
  • Et enfin, « Bébé, jouis pour moi » (non, ce n’est pas un titre de chanson de Jean-Luc Lahaye).

Bref, E.L. James a largement gagné par 4 à 0 sur ma patience, me laissant circonspecte quant au succès phénoménal de ce livre. Et à tel point affligée que je me suis à peine interrogée sur son éventuelle portée sociologique (si tant est qu’il y en ait une), notamment sur les rapports homme / femme qu’il induit. C’est vrai, je me suis demandé qui peut bien fantasmer sur un personnage qui présente la soumission comme un moyen de le gagner, lui. Et le fait que la réponse soit « plein de femmes » m’a interpellée. Bon. Pour mieux comprendre, il aurait peut-être fallu(s) que je lise l’ouvrage en entier. Bon. Peut-être que… mais finalement, non. La lecture, c’est un peu comme le BDSM : trop de torture tue le plaisir.

22 réflexions sur “50 nuances de Grey (et surtout de force)

  1. Pingback: 9 semaines 1/2 : ancêtre de Fifty shades of Grey ? | Biancat's Room

  2. Merci pour cet avis qui m’a fait hurler de rire dans l’amphi bondé de la fac.
    Je ne comprends vraiment pas l’engouement suscité par le livre, surtout pour les 4 raisons que tu as citées précédemment.

    Non, vraiment, 50SOG et moi, ça ne collera jamais. Certaines de mes connaissances m’ont haïe parce que, selon elles, « Grey, c’est l’homme le plus extraordinaire du monde et que franchement, l’auteure a trop un style bien à elle. Et puis, pour une fois que c’est pas cul-cul … « .

    Je préfère mille fois courir un marathon plutôt que de lire une seule phrase de plus de ce ‘truc’ (même si je respecte l’auteure hein …)

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  3. Tu rejoins ce que j’en avais pensé …..
    Je m’étais même posée la question:  » Y a -t’il eu un souci de traduction? » (et j’ai regardé vite fait la version originale) : aussi nulle et plate que la traduc’!
    Bref, quand j’entends des gens me dire « c’était super hot » je laisse dire (pourquoi pas, pour certains, ça l’est peut-être…) mais comme toi, le « c’est une très belle histoire d’amour », je m’inquiète – mais où est l’amour là-dedans?

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  4. Pas lu (Dieu m’en préserve), mais derrière son succès, je vois la preuve d’un réel talent à l’origine. Bien sûr, je ne parle pas de celui de l’auteure, qui semble n’en avoir aucun d’après ce que j’ai pu voir, mais de celui des commerciaux qui sont parvenus à créer le buzz autour de l' »oeuvre ». Ayant sans doute constaté que la fanfic de départ remportait un certain succès auprès de lecteurs du dimanche, ils ont dû s’appuyer là-dessus pour le vendre au grand public, qui se compose aussi pour l’essentiel de lecteurs occasionnels, soit des gens qui n’ont pas assez de « vécu littéraire » pour pouvoir distinguer un bon livre d’un mauvais. Ajoute à ça le bouche à oreille et le matraquage publicitaire (apte à pousser même les gens sensés à l’acheter pour « se faire leur idée ») et voilà comment on obtient un bestseller injustifié.

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  5. J’ai été assez courageuse, folle plutôt, pour le lire en entier. Entre une pote qui me disait qu’il était nul, et 2/3 autres qu’il était bien, je m’étais décidée à me faire mon propre avis en lisant en pdf gratuit. Et personnellement, je trouve que c’est une bouse internationale. Entre une cruche pas possible et un con infernal; tout était prévisible.

    En somme, je suis d’accord avec toi, autant qu’avec le/la libraire qui a

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      • Moi aussi, je l’ai lu en pdf gratuit (heureusement, car j’aurais pleuré d’avoir payé pour lire ça), et si je n’ai pas osé utiliser le terme « bouse internationale », je n’en pense pas moins et j’aurais même dit « bouse intergalactique » 😉

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  6. Nous en avons déjà discuté et moi, je ne peux tout simplement pas. La lecture de quelques extraits m’a amplement suffi et je ne veux pas m’infliger ça – je sais que ça va me déprimer (et/ou me mettre en colère, dépendant de mon état du jour) de voir que des … – comment qualifier ça, d’ailleurs ? – trucs pareils sont publiés alors que de talentueux écrivains rament pour être édités.

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    • Tu as raison, ne te lance pas, ça te mettrait assurément de mauvaise humeur ! Tu vois, je voulais aller au bout histoire de dire, je n’ai même pas pu tant j’ai été submergée par l’ennui…

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  7. J’avoue que sur 50 nuances de grey même si je suis à 100% d’accord avec toi, j’ai apprécié la romance entre les deux protagonistes. Mais je n’avais pas d’attentes concernant ce livre, j’ai lu comme on regarde un soap bas de gamme (et je m’y connais lol).

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  8. c’est marrant à quel point cette saga divise, la majorité de mes amis et connaissances qui l’ont lu n’ont pas aimé du tout, ont eu à peu près les mêmes commentaires que toi, alors que chez certains j’entends qu’ils trouvé ce livre très « hot » … comme quoi il en faut peu pour certains. A se demander même si certains Harlequins ne seraient pas plus hot que ces 50 nuances de bidule machin 🙂 Belle critique de ce livre et bravo d’avoir tenté lire ce livre 🙂

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    • Merci pour la reconnaissance de mon effort ! lol Disons qu’on peut considérer que c’est hot dans le sens où c’est très détaillé. Mais peut-on considérer qu’on fait de la musique parce qu’on aligne des notes ? Non, eh bien là, c’est pareil. L’érotisme est un art, et ce n’est pas parce qu’on parle de sexe que ça rend l’objet érotique. Je pense que les personnes qui trouvent ce livre hot n’ont jamais lu de littérature érotique, sinon ils verraient la différence. Ce qui m’interpelle en revanche, ce sont les personnes qui voient en cette histoire une belle histoire d’amour.

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