Atelier d’écriture chez Asphodèle : quand la lumière s’éteint…

plumes asphodeleC’est un air printanier que nous souffle la collecte de la semaine chez Asphodèle, dont voici le résultat : douceur, printemps, déserter, sommeil, chaleur, renaissance, air, bernard-l’hermite, édredon, paresse, plume, aile, volupté, insouciance, liberté, vaporeux, virevolter, cigogne, nuisette, ubac, univers, urgence.

Et voici ma proposition :

« Au téléphone, ma mère m’avait dit qu’il n’y avait pas d’urgence, qu’on pouvait arriver tranquillement vers midi, mais on a fini par être en retard, comme d’habitude. A peine descendues de la voiture, les filles se précipitent dans le jardin en hurlant à tous les vents leur liberté retrouvée. Je passe le petit portail vert dans leur sillage et c’est là que j’aperçois mon père : il paresse dans une chaise longue, enfoncé dans un édredon de plumes tout blanc. De loin, on croirait qu’il savoure la douceur du printemps et la chaleur des premiers soleils. Tout est si calme, rien n’a l’air d’avoir vraiment changé. C’est drôle comme le printemps souffle invariablement chaque année sa brise de volupté et d’insouciance. Une inlassable et toujours optimiste renaissance.

cigogneLes filles se sont approchées de leur grand-père et leurs rires l’ont sorti de son demi-sommeil. Elles virevoltent toutes les deux autour de lui, tout en faisant des zigzags entre le nain de jardin et la cigogne imperturbable. Alors qu’elles jouent bruyamment à cache-cache entre les nuisettes de leur mamie qui sèchent sur la corde à linge, je me penche pour embrasser mon père. Il tourne la tête vers moi et je suis frappée par son regard, jadis si perçant, aujourd’hui vaporeux. Au début, on nous a dit que c’était la maladie de Parkinson. Il tremblait beaucoup, ça n’a pas vraiment été une surprise. Le problème, c’est que ce genre d’invité n’arrive jamais seul. On l’a réalisé quand sa raison a commencé à déserter et qu’il s’est mis à dériver de l’adret vers l’ubac de son esprit.

  • Papy, tu veux qu’on te chante la chanson du bernard-l’hermite qui voulait avoir des ailes ?

Il sourit. Seules ses petites-filles semblent encore l’atteindre. Dans leur univers, la maladie n’est qu’un autre aspect de la réalité et ça ne les dérange pas que Papy ne soit plus tout à fait comme avant. Après tout, il est toujours là pour écouter leurs chansons. »

Atelier d’écriture chez Asphodèle : la fuite du vampire

plumes asphodeleVoilà quelques semaines (mois ?) que je n’avais pas pris le temps de participer à l’atelier de Miss Aspho, exercice que j’affectionne pourtant particulièrement. En voyant la liste de mots de cette semaine, ma vampirette Véra, que j’avais laissée en plan avec son bel endormi dans un épisode précédent, s’est rappelée à mon bon souvenir et m’a inspiré ce petit texte.

Voici donc le résultat de la collecte de mots (dont j’ai écarté aquarelle) : temps, lire, ténacité, sidération, tour, regrets, déchirer, malgré, silence, bancal, résilience, pourquoi, aquarelle, fardeau, parenthèse, vide, rire, envol, vie, conscience, coeur, douleur, scintiller, symphonie, scène, sinueux.

« Il ne me laisse finalement pas le temps de prendre une décision et brise soudain le silence en s’étirant dans les draps que nous avons froissés. En m’apercevant dans un coin sombre de la chambre, il part d’un rire cristallin qui provoque encore cette étrange sensation dans mon coeur – plaisir ou douleur, je ne saurais le dire.

– Bonjour, me dit-il en souriant. Tu n’as pas filé comme une voleuse cette fois ! Reviens au lit, ne t’enfuis pas encore.

femme-vampireIl me tend une main que je n’arrive pas à refuser. La scène prend un tour que je n’avais pas prévu. Son regard me renverse, ma conscience se trouble et je ne sais plus si c’est l’envie de son corps ou de son sang qui m’aimante irrésistiblement. Il m’attire vers lui, me caresse, m’embrasse et l’ivresse du jeûne emporte mes sens dans une symphonie endiablée. Il ne me reste que peu de temps avant de céder à l’instinct qui m’intime de lui déchirer les chairs. Je le repousse violemment et ce faisant, je peux lire la sidération dans ses yeux.

– Pourquoi, Véra ?

Bien sûr, je ne peux pas lui dire pourquoi et je m’enfuis sans me retourner, avant que sa ténacité et mes regrets ne me rattrapent, avant que je ne sois obligée de lui servir une histoire sinueuse et bancale, ou avant que ma nature monstrueuse ne se nourrisse de lui. Contrairement à ce que j’espérais, le temps n’allège pas notre fardeau, même pour nous les Anciens. Je réalise que malgré nos longs siècles d’expérience, aucun de nous n’est à l’abri de la détresse causée par le vide qui habite nos vies nocturnes. Le désir d’une parenthèse humaine scintille toujours dans nos profondeurs et hurle pour prendre son envol. Pour nous, aucune résilience n’est possible. »

Une photo, un texte

En faisant du rangement dans mon ordinateur, j’ai retrouvé ce petit texte écrit à la base pour le boulot. Objectif : écrire un texte court à partir d’une photo. Plutôt que de le laisser dormir dans un coin, je partage…

« Il est surprenant de voir comme l’éternité peut parfois cohabiter avec le temps qui passe. La mer, en s’éloignant peu à peu, a laissé à l’abandon sur ses berges désertiques et caillouteuses les cadavres des bateaux qu’elle faisait jadis voguer, fardeaux désormais trop lourds à porter. Couchés sur le flanc, minutieusement dévorés par la rouille, ils attendent on ne sait quel sauvetage dans leurs couleurs délavées, avec la patience et l’espoir irrationnel des moribonds. Au loin, les montagnes les scrutent dédaigneusement du haut de leurs cimes enneigées, indifférentes à leur lente et douloureuse agonie. Peut-il en être autrement, alors que les saisons n’ont de prise sur ces géantes que par le costume qu’elles déposent sur leurs épaules impassibles ? Dans ce paysage mutique et pourtant superbe, seules les nuances bleues du ciel et de la mer témoignent de la vie. Se reflétant l’une dans l’autre, leur dialogue silencieux oscille entre l’instant et l’infinité du temps. »

Atelier d’écriture chez Asphodèle : la faim du vampire

plumes asphodeleYouhou ! Cette semaine, j’ai réussi à attraper au vol l’atelier d’écriture d’Asphodèle, dont voici les mots collectés : transfigurer, chauve, blanc, solitude, silence, matin, se ressourcer, ivresse, ténébreux, épuisant, insomnie, étoilé, fête, rêver, sommeil, voyage, chanson, fesse, recommencement, voluptueux, sarabande, passeur, prologue, pavillon.

Et voici ma proposition avec Véra le vampire, suite de mon texte précédent :

« Pour rester à ses côtés, je ne me suis pas nourrie cette nuit. Pour une fois, le ciel étoilé n’a pas été le témoin de ma cruauté, ni de mon immense solitude. Après ce jour de jeûne, l’ivresse devient insupportable. Mes crocs appellent sa chair blanche et mon corps est pris de vagues voluptueuses à la pensée du festin qu’il va m’offrir. Je jouis des humains depuis des siècles et pourtant, la fièvre de l’attente est restée intacte. Un recommencement sans fin. Dans ces moments, je me rappelle le désir charnel que j’éprouvais quand j’étais humaine. Le frisson de l’espoir, les prologues délicieusement longs et tendres ou violents et sauvages, la sarabande des corps et des sens, les insomnies torrides, épuisantes, et les silences apaisés du petit matin. Bien sûr, mon corps froid ne ressent plus tout cela. Mon plaisir s’est mué en un ténébreux désir, tout aussi brûlant mais désormais fatal.

Il soupire d’aise dans son sommeil, je veux croire que c’est de moi qu’il rêve. Les contours pulpeux de son beau visage, de ses épaules, de ses fesses et surtout cette veine qui bat dans son cou, vont bientôt avoir raison de la frêle émotion qu’il a éveillée en moi. vera-vampireLa faim me tenaille tellement à cet instant que je sens le masque prêt à tomber. Je vais me transfigurer et laisser émerger le monstre. Quand je suis sur le point de porter l’estocade, la même pensée me vient toujours : et si le voyage était doux ? Et si les anges préparaient une fête en l’honneur de l’âme qu’ils s’apprêtent à accueillir dans leur pavillon céleste ? Jusque là, j’ai repoussé la mort en la donnant, mais un jour elle me prendra aussi, en plein vol, quand je l’aurai décidé. Moi, aucun ange ne m’attendra, juste le crâne chauve et les yeux de chat fluorescents d’un effrayant passeur. Même après tout ce temps, je ne suis pas encore prête à entendre sa sinistre chanson. Alors je poursuis indéfiniment mon œuvre et je me ressource à l’idée de ma toute-puissance. »

Atelier d’écriture chez Asphodèle : Le blues du vampire

plumes asphodeleL’heure du dernier atelier d’écriture chez Asphodèle avant la pause estivale a sonné. Même si j’ai déjà entamé la mienne depuis quelques semaines, j’ai eu un dernier sursaut parce que le thème de l’éternité ne pouvait que me parler.

Voici donc la collecte de cette semaine : vacances – scolastique – immortalité – seconde – mémoire – longueur – ange – douleur – oubli – repos – cercle – passion – péché – chemin – vampire – jour – cathédrale – lassitude – liane – lucarne.

… et ma participation :

‘Regardez-le, on dirait un ange. Dans son repos si fragile, si humain, il ne sait pas qu’à cet instant notre histoire touche à sa fin, même si je n’en ai pas encore choisi le dénouement. Je m’appelle Véra et je suis un vampire. Malgré mes nombreux siècles d’existence, je n’ai jamais pu renoncer à l’amour des mortels. J’ai toujours été fascinée par leur propension à vivre comme s’ils ne devaient jamais mourir, leur façon de se jeter à corps perdu dans le cercle infini et aliénant de leurs passions.

Avec le temps, nous autres les Anciens sommes devenus cyniques et remplis de lassitude. La mémoire de mon humanité s’est estompée, tombée dans l’oubli de ma condition de créature de la nuit sans âme, sans vie. Mes sentiments, exacerbés dans les premières décennies qui ont suivi ma transformation, se sont racornis au fil de mon éternité. Je ne sais même plus ce qu’est la douleur, je ne vois plus que celle que j’inflige, à travers le regard épouvanté de mes victimes. Paradoxalement, ce sont les humains, et l’amour qu’ils me portent, qui me rattachent à la vie, ou à ma non-vie.

Je lève les yeux vers la lucarne qui laisse entrer dans la pièce une faible clarté. Les cloches de la cathédrale sonnent six heures et les premières lueurs du jour vont poindre. Je dois prendre une décision maintenant. Je pourrais lui déchirer la gorge en une fraction de seconde, aspirer son dernier souffle de vie dans un soupir orgastique, un adieu tragique. Ou attendre son réveil, tout lui faire oublier, et juste lui laisser une vague impression de longues vacances. Je n’aime pas quand ils oublient car à chaque fois c’est un peu comme si je mourais une seconde fois, et que je retombais dans le néant.

Sa blondeur me rappelle ce jeune philosophe exalté qui avait tenté de m’initier à la scolastique, à une époque lointaine où je voulais mettre à profit mon immortalité pour acquérir tout le savoir du monde. Comme si au fond les sciences et la religion pouvaient avoir une quelconque importance pour quelqu’un qui chemine à travers les âges. De toute façon, j’ai tellement péché que je ne crois plus en Dieu depuis longtemps.

Contre toute attente, cette blondeur m’émeut. Une sensation, si profondément enfouie que je la croyais morte, m’enserre le cœur telle une liane. Est-il possible que j’aie aimé celui-ci ?’

Se prendre au jeu de l’écriture

plumes asphodeleunehistoireIl y a quelques mois maintenant, j’ai commencé à participer à des ateliers d’écriture, sur le blog d’Olivia Billington d’abord, puis sur le blog Les Lectures d’Asphodèle ensuite. L’objectif, simple, de ces ateliers est de rédiger un texte, prose ou poème, en utilisant une liste de mots proposée par l’ensemble des participants, liste elle-même inspirée d’un mot lancé par l’organisatrice.

A l’origine, j’étais très intriguée par l’exercice et vraiment impressionnée par les textes rédigés avec talent par les participants, et surtout de voir comment à partir d’un même matériau, chacun arrivait à y développer son propre imaginaire. La question qui me taraudait alors était la suivante : comment diable débrider son imagination et sa créativité en partant d’un carcan de mots imposés ? Par curiosité, et très tentée par le défi, un jour je me suis lancée. Quelle ne fut pas ma surprise de constater à quel point, loin de les brider, les mots servent de terreau à la créativité, portent l’imagination, la stimulent et l’emmènent dans des directions où elle ne serait sans doute pas allée s’aventurer.

De semaines en semaines, j’ai également fait une autre découverte : que la plupart du temps, les personnages issus de ces ateliers ne se contentent pas d’un seul tour de piste, ils ont envie d’aller au bout de leur histoire. Ils vous empêchent de dormir, se rappellent à votre bon souvenir dès le réveil et ne vous lâchent pas tant que la boucle n’est pas bouclée. Petit à petit, ils prennent de l’épaisseur dans votre esprit, leur caractère s’affine et s’affirme, leur visage se dessine… Récemment, quand j’ai pensé à mon trio Tristan / Sarah / Antoine, dont j’ai commencé l’histoire il y a un moment sans l’avoir encore terminée, ils me sont apparus comme dans un film, avec l’ambiguïté ténébreuse de Ben Whishaw (Tristan), la douceur lunaire d’Emily Kinney (Sarah) et le charme juvénile de Hugh Dancy (Antoine). Rien que ça ! ^^

Ben-Whishaw Emily-Kinney Hugh-Dancy   

Parti d’un petit jeu d’écriture, l’exercice se révèle au bout du compte passionnant et très excitant. Un premier jet de deux histoires est déjà écrit (Ariane et Cynthia), et encore à retravailler. Je ne sais pas si j’aurai la constance pour aller au bout mais si c’était le cas, j’aimerais bien terminer un petit recueil de nouvelles, des portraits de femmes, en créer la couverture, l’imprimer et pouvoir dire à mes filles plus tard : c’est Maman qui a écrit ça. On dirait bien que j’ai trouvé mon prochain objectif.

Atelier d’écriture chez Asphodèle : So far, so close…

plumes asphodeleAprès avoir fini mon histoire de Cynthia / Honey, j’ai eu du mal à dire au revoir à Jensen et à part quelques poèmes, mes nouvelles sont restées au point mort. Puis, à la lecture des mots chez Asphodèle cette semaine, j’ai eu envie de reprendre l’histoire de Sarah que j’avais laissée un peu en plan, avec pour objectif de l’écrire dans les semaines à venir.

Voici donc la récolte n° 30, avec laquelle j’ai comme souvent un peu triché : tendresse, peau, solidarité, incompréhension, mosaïque, regard, amour, handicap, souffrir, tolérance, dispute, similitude, solitude, séparation, complémentaire, richesse, éloignement, étranger, égal, déranger, combattre, hagard, herbage, horrifiant.

Et ma proposition, pour une fois pas trop longue :

‘Elle dévisagea Antoine, son regard bleu, sa bouche rieuse, ses boucles brunes, et elle en voulait à Tristan d’avoir permis que ces sentiments s’insinuent en elle. Elle en était la première horrifiée et ne tolérait pas cet interdit, mais elle n’arrivait plus à lutter et son cœur avait renoncé à combattre. Antoine opposait la complicité à l’incompréhension, la proximité à l’éloignement, la présence à la solitude. Mois après mois, Tristan avait lentement glissé du statut d’âme sœur, son égal, son être complémentaire, à celui d’étranger. La richesse de leur relation désormais handicapée, la similitude de leurs goûts, leur solidarité indéfectible, tout cela s’était brisé dans une mosaïque de disputes, puis d’indifférence et de froideur. L’imminence d’une séparation ne semblait pas le déranger, Sarah avait même l’impression que c’était ce qu’il attendait, comme si sa souffrance existentielle pouvait trouver du répit et du soulagement dans le rejet de l’autre.
Quand Antoine prit son visage entre ses mains avec tendresse et enfonça délicatement ses doigts dans sa chevelure, elle lâcha prise. Le contact de sa peau la fit frissonner et souffrir tout à la fois. Elle ferma les yeux, consciente de sa mine hagarde et perdue, et s’abandonna à son baiser. Elle perçut l’odeur de l’herbe fraîchement coupée du parc, le goût inédit de ses lèvres, le doux murmure de leurs soupirs, et laissa s’envoler l’image de Tristan.’

 

Le bruit du monde

Ce tumulte, mes oreilles et mon cœur en crèvent
Cent fois, mille fois, j’ai cru lire les mêmes phrases.
criPlus rien ne se crée, les mots reviennent sans fin
Telle une ronde menée par des êtres fantômes.

Etourdie par le vacarme, je n’entends plus,
Chaque cellule de mon être n’aspire qu’au silence
Le silence, seul endroit décent pour aller mal,
Où les coups de la douleur sont démultipliés
Mais paradoxalement plus doux, comme étouffés.

Plus rien n’existe que les grondements sourds
De la bête tapie, prête à bondir
Dans un torrent de fureur et de larmes.
Elle râle, sa plainte est lancinante
Et pourtant si belle dans sa mélancolie.

Que se passe-t-il quand le bruit du monde s’est tu ?
Finis les masques, les effets de manche,
Seulement l’angoisse d’une vie blanche
Et à l’intérieur, plus personne à qui dire ‘tu’.

Atelier d’écriture chez Asphodèle : Le retour de Jensen

Jensen3Les semaines et les récoltes de mots se suivent. Sur le thème de la métamorphose, voici le résultat chez Asphodèle pour aujourd’hui (nous avons échappé de peu à ‘cloporte’, alléluia ! ^^) : changement, incrédule, papillon, chenille, évolution, climat, déguiser, magie, transformation, grossesse, adolescence, éclosion, cafard, majestueux, amour, éphémère, éperdu, envol, travesti. Je ne sais pas si on avait le droit mais j’ai pour ma part laissé ‘grossesse’ de côté, et j’ai poursuivi l’histoire de Honey/Cynthia.

Previously… Cynthia avait reconnu Jensen sur une photo de famille chez ses parents, ce qui manque de lui provoquer une crise de panique, qu’elle réussit à juguler tant bien que mal. Elle passe malgré tout une journée détendue et agréable, même si une question obsédante, qu’elle n’ose pas poser, ne quitte pas son esprit : qui est Jensen ? Then…

‘Travesty Moonlight venait de terminer son tour de chant. Il était l’heure pour Honey d’entrer sur scène. Depuis l’arrière-salle du Red Bunny, son regard incrédule balayait le bar : Jensen n’était pas là. Elle maudissait Luke d’avoir interrompu leur conversation hier soir, alors que la partie était presque gagnée. Cela lui avait valu une soirée de cafard à broyer du noir, seule avec son verre et ses cigarettes.
Elle s’était fait plus belle, plus séduisante et vénéneuse que jamais, parce qu’elle avait décidé que ce soir serait LE soir. Elle portait une robe fourreau en satin pourpre qui épousait à merveille ses formes à la fois graciles et pulpeuses. Sa chevelure rousse soigneusement arrangée se répandait en vagues sur ses épaules menues, encadrant un visage fin au teint pâle, que soulignait un rouge à lèvres flamboyant. Quand Honey se muait en femme fatale, le changement était saisissant. Transformation de l’éphémère chenille fragile, éclosion et envol du papillon éclatant et majestueux. Elle ressemblait à Rita Hayworth.
rita hayworth
Après un dernier coup d’oeil, elle se résolut, avec une pointe de déception, à monter sur scène et à entamer son show. A la contrebasse, elle croisa le regard subjugué de Luke, auquel elle répondit par une moue indifférente. Tant que la chasse ne serait pas terminée, aucun autre homme que Jensen ne trouverait grâce à ses yeux. Sa voix, d’ordinaire enveloppante et hypnotique, n’avait pas de cible ce soir et c’est sans âme qu’elle égrena son répertoire. Une heure plus tard, à l’approche de la dernière chanson, qui annonçait aussi la fermeture imminente du Red Bunny, la porte d’entrée s’ouvrit et Honey retint son souffle. Elle avait senti sa présence et sa voix se régénéra comme par magie. Soudain, le climat de la soirée n’était plus à la grisaille monotone et la température monta imperceptiblement.
Jensen.
Vêtu de son habituel manteau gris, le visage tapi dans l’ombre de son feutre, il venait d’électriser l’atmosphère du Red Bunny. Il avança dans la salle, commanda son whisky, mais au lieu de s’installer au comptoir comme tous les soirs, il se dirigea tout droit vers la scène en ôtant son manteau. Honey finissait de chanter Devil in disguise, un morceau d’Elvis dont elle avait créé une version piano-voix sensuelle et langoureuse.
Sans la quitter des yeux, Jensen glissa quelques mots à l’oreille du pianiste et s’installa devant l’instrument lorsqu’il eut terminé. Bien qu’elle cherchât à le cacher par un air qui se voulait distant, l’excitation de Honey était à son comble : Jensen allait l’accompagner. Jensen2Quand il entama les premières notes du Unforgettable de Nat King Cole, sa gorge se noua : c’était sa chanson fétiche, celle qu’elle emmenait avec elle de scène en scène, celle qui coulait de ses cordes vocales aussi naturellement qu’un rayon de miel. S’approchant du piano et plongeant son regard dans les yeux verts de Jensen, elle la chanta comme si c’était la première fois. Les douces volutes de la mélodie laissaient déjà entrevoir les délices de la nuit à venir et la fièvre s’insinua en elle au fil des paroles.

-Vous étiez en retard ce soir, lui glissa-t-elle d’un ton de reproche, lorsque la musique s’arrêta.
-J’étais à l’heure pour le clou du spectacle. Je vous raccompagne ?

Honey attrapa sa cape noire, que Jensen lui mit sur les épaules, et alluma une cigarette en sortant du Red Bunny. Son appartement était à quelques rues de là. Ils marchaient depuis quelques minutes en silence quand Honey le questionna :

-Qui êtes-vous, Jensen ? Vous semblez en savoir beaucoup sur moi et je ne sais rien de vous.
-Ne posez pas de questions dont vous n’aimeriez pas connaître les réponses, Honey. Savourez le clair de lune et la douceur de la nuit.

Quelques dizaines de mètres plus loin, ils arrivèrent à son appartement, un petit deux-pièces coquet au premier étage, à dominante orange et rouge.

Jensen4-Je vous sers un verre ? demanda-elle en entrant.

Sans répondre, Jensen posa son manteau et son feutre et enleva la cape de Honey. Puis il fit pivoter délicatement les épaules de la jeune femme et l’attira à lui. Honey faillit défaillir lorsque ses lèvres se posèrent sur les siennes. C’était elle qui, habituellement, faisait perdre la tête aux hommes, mais ce soir il y avait une évolution, un bris dans les habitudes : elle sentait qu’elle perdait le contrôle. Son cœur était enflammé comme celui d’une adolescente, ses baisers étaient trop éperdus, ses mains trop fébriles. Jensen avait pris le pouvoir.
Il fit glisser sa robe, la prit dans ses bras et l’emmena dans la chambre. Il l’allongea sur les draps de soie violets et ils firent l’amour exactement comme Honey l’avait imaginé. Elle savait déjà ses gestes, son parfum vanillé, le léger goût sucré de sa peau, leurs souffles mêlés, la chorégraphie de leurs corps. Et lentement, ses larmes se mirent à couler.’

Atelier d’écriture chez Olivia : Première sortie

unehistoireEt hop, c’est reparti pour un atelier d’écriture, j’ai rattrapé le train en marche et voici ce qu’a donné la récolte de mots cette semaine chez Olivia : soutien – famille – convivial – repas – réunion – confrérie – confrontation – humilité – orgueil – arrogance – mépriser – morgue – autopsie – trouver – réponse

La consigne était la suivante : soit vous prenez tous les mots, soit vous n’en sélectionnez que cinq et vous ajoutez la consigne suivante : un des personnages doit dire « je n’aime pas la tiédeur des sentiments ».

Voici donc ma participation pour cette semaine. Previously on Honey/Cynthia’s story, le Docteur Moisan, ayant constaté que la mémoire de Cynthia revenait plus vite lorsqu’elle trichait avec son traitement, a décidé de lui faire confiance et de diminuer ses doses. Then… (désolée Olivia, je voulais faire revenir Jensen tout de suite mais les mots ne s’y prêtaient pas !).

‘Ce matin, Cynthia était assise, pensive, près de la fenêtre de sa chambre. On avait diminué la posologie de son traitement depuis trois jours et elle reprenait lentement contact avec ses sensations. Son cœur se réjouissait à nouveau du soleil qui se reflétait sur le lac et du chant des oiseaux dans le parc, sa notion du temps se faisait de plus en plus précise, et son impatience de revoir Jensen grandissait au fur et à mesure de son retour à elle-même. Ses cauchemars devenaient aussi plus oppressants, mais elle se gardait bien d’en parler au Docteur. Celui de cette nuit l’avait laissée pantelante et terrorisée, mais avec quelques respirations profondes elle avait réussi à retrouver un semblant de calme. Tout plutôt que de retrouver son espace intérieur gris et morne. Nuit après nuit, toujours ces flammes, ces cris… faute de les comprendre, elle tentait de s’y habituer et se disait que le moment venu, elle finirait bien par trouver des réponses.

Quelqu’un frappa à la porte, la sortant de ses sombres réflexions.

-Entrez.

C’était le Docteur Moisan.

-Bonjour Docteur.
-Bonjour Cynthia, comment allez-vous aujourd’hui ?
-Bien Docteur, bien mieux.
-Parfait. Nous sommes samedi, vos parents sont là. Ils m’ont demandé il y a quelques temps s’ils pouvaient vous amener chez eux le temps d’un repas. J’étais réticent jusque là mais comme je vous l’ai dit cette semaine, vous avez fait beaucoup de progrès et votre famille est impatiente de pouvoir vous apporter son soutien.

Une montée d’angoisse s’empara d’elle. Elle ne savait pas si elle était prête pour une confrontation avec le monde extérieur. Elle se sentait tellement à l’abri ici. Une maison de repos, comme on appelait sobrement la clinique des Bois Verts, n’était-elle pas la réunion de personnes souffrant de maux comparables aux siens ? Une confrérie presque conviviale où tout était mis en œuvre pour son bien-être ? Pourtant, aussi rassurante que pouvait être sa petite chambre blanche, elle ne pourrait pas y passer toute sa vie, elle en était consciente. Elle se reprit et répondit avec toute l’assurance dont elle était capable :

-Je suis sûre qu’ils vont beaucoup m’aider. Allons-y Docteur.

Papa et Maman attendaient dans le hall d’entrée. Comme à chacune de ses visites, Maman la serra très fort contre elle.

-Nous la ramènerons à 17h Docteur.
-Très bien, passez une bonne journée. En cas de problème, vous avez mon numéro de téléphone. Mais je suis sûr que tout ira bien, dit-il avec un sourire rassurant.

Cynthia monta à l’arrière de la Laguna de Papa et réalisa qu’elle allait retrouver le monde réel. Pour la première fois depuis deux mois, le paysage serait différent et ne serait plus figé, à l’image de celui qui défilait par les fenêtres de la voiture. Après vingt minutes de route, à l’approche du petit pavillon de banlieue de ses parents, elle reconnut le quartier, les rues et des flashs lui revinrent à l’esprit : le lycée tout proche, ses premières leçons de conduite… Puis la voiture s’arrêta devant la maison, la maison dans laquelle elle avait grandi. En descendant, Maman la regarda avec acuité, comme si elle voulait autopsier ses pensées.

-Oui Maman, je crois que je me souviens de la maison, lâcha Cynthia, alors que sa mère n’avait encore rien dit.
-C’est très bien, répondit Maman, les yeux humides. Viens on va entrer, l’intérieur ravivera peut-être d’autres souvenirs. Maya va bientôt arriver.

Cynthia entra dans la maison et se dirigea vers le salon. Un superbe chat sacré de Birmanie se tenait sur un des fauteuils, affichant un air orgueilleux et méprisant. Quand il aperçut Cynthia, il abandonna aussitôt sa morgue et son arrogance et se leva pour aller se frotter contre ses jambes avec humilité.

-Opale… murmura la jeune femme en prenant doucement l’animal dans ses bras.

Tenant la bête ronronnante contre sa poitrine, elle se promena dans la pièce et en étudia tous les détails en espérant en faire surgir des images du passé. Puis son regard fut attiré par la cheminée, et par les cadres qui y étaient placés. Ils étaient pleins de visages heureux et souriants, témoins d’époques plus légères. Elle reconnut Papa, Maman et Maya, mais les autres visages lui étaient pour la plupart inconnus ou très flous. Soudain, son cœur s’arrêta. Sur une photo de famille, un beau jeune homme au regard vert familier se tenait près d’elle. Elle n’en croyait pas ses yeux : c’était Jensen.’