Je suis Charlie ? Fatiguée, surtout.

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Ce matin, j’ai lu un article sur le net qui m’a interpellée : un procès d’intention de l’humoriste Michel Leeb, l’accusant 30 ans après d’avoir écrit des sketchs racistes (souvenez-vous : la mouche et le bourdon, l’Africain, …). Certes, cet humour d’une époque révolue n’était sans doute pas des plus fins, il était même parfois limite, mais le fait que cette polémique arrive précisément en ce moment n’est pas anodin. Cela m’a donné envie d’écrire sur cet après-Charlie qui, curieusement, muselle encore plus la liberté d’expression, au lieu de la débrider. Et puis j’ai lu le texte de Stéphane, un ami de très longue date. Depuis les événements du 7 janvier à Charlie Hebdo, Stéphane a pris la décision de poster chaque jour sur son mur facebook un texte sur des sujets très variés, pour éveiller, faire réfléchir, parler de la vie, pour partager surtout. Je vous livre donc sa réflexion, qui se rapproche de ce que j’aurais pu écrire, en mieux :

« Encore un billet aujourd’hui pour défendre la liberté d’expression. Celui-ci m’a été inspiré par un partage d’une de mes amies à propos de la polémique concernant le pseudo-racisme de Michel Leeb dans ses vieux sketchs. Je crois aujourd’hui que des gens comme Coluche ou Pierre Desproges doivent se retourner dans leur tombe. Autant je combattrai toujours le racisme sous toutes ses formes, autant je suis persuadé que notre société se tire aujourd’hui une balle dans le pied en attaquant et en censurant toute forme d’opinion humoristique. Je ne reviendrai pas sur le cas évident de Charlie Hebdo. Mais je souhaitais mettre en lumière un fait important. L’immense majorité de ces attaques est soigneusement orchestrée par une presse fortement orientée politiquement qui fait son fond de commerce avec la soi-disant défense de la diversité et la lutte contre les discriminations. Il est intéressant de constater que dans un pays où la majorité des médias ont la même orientation politique, personne ne dénonce ce lobbyisme inquiétant.

Oui, on peut faire des plaisanteries sur les origines, les cultures, les religions, d’autant plus pour dénoncer leurs travers. Je suis d’origine belge, et lorsque j’y allais étant jeune, leurs blagues méconnues sur les français me faisaient mourir de rire. Pourquoi donc l’inverse ne pourrait être vraie ? D’ailleurs, il est intéressant de noter que cette même presse réagit beaucoup moins quand il s’agit de dénoncer les positions de certains musiciens issus de leur fond de commerce, c’est-à-dire de ce qu’on appelle de manière très étrange et inquiétante la diversité (toutes les différences se valant, pourquoi donc en valoriser certaines ?). Le meilleur exemple est peut-être le silence de leurs critiques musicaux (ou la complicité ?) face à un texte comme celui-ci : « La France est une garce, n’oublie pas de la baiser jusqu’à l’épuiser, comme une salope il faut la traiter, mec. » (D’un pseudo-rappeur français facile à identifier).

N’y a-t-il pas ici un racisme flagrant à dénoncer, car nulle trace d’humour ou de dérision, mais au contraire une haine de l’autre exprimée et assumée ? Je crois que tous les racismes doivent se dénoncer. Je crois aussi qu’on peut qu’on doit se moquer de tout pour dénoncer. D’ailleurs les premiers à rire sur Facebook des blagues sur les arabes ou les blacks sont les premiers concernés. Gardons de la distance, gardons la tête froide, gardons notre liberté de penser. Et sachons reconnaître quand des accusations de racisme cachent une propagande politique en période électoralement difficile. Aujourd’hui est le jour 87, évitons de nous faire manipuler… »

Charlie, J+8 : urgence de vie

Il y a huit jours à peine, nous étions tous muets d’horreur après le drame Charlie. Que s’est-il passé depuis ? La mort des responsables, un pays qui s’est élevé contre la barbarie et le terrorisme, sous les yeux du monde entier, et une foule de questions pour demain.

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J’ai été touchée par ces élans de solidarité, et par l’émotion bienveillante au cours des rassemblements et des marches qui ont fleuri dans toute la France. Pourtant, quelque chose me chagrine aujourd’hui. Cette levée de boucliers en faveur de la liberté d’expression semble s’être muée en une nuée de réactions finalement très politiquement correctes : la France est un magnifique pays (mais ne l’était-il pas déjà avant ?), les dessinateurs étaient des génies, Charlie Hebdo devient intouchable et ceux qui hier encore le conspuaient s’arrachent le dernier numéro et envisagent même de s’y abonner. Et je ne parle même pas du mercantilisme honteux qui s’est emparé de la toile.

Tandis que je m’apprêtais comme tout le monde à acquérir mon exemplaire, je me suis soudain réveillée. Je me suis souvenue que les unes du journal me choquaient parfois, que je n’étais pas en accord avec sa ligne éditoriale, et qu’avant ce drame, je ne le lisais pas. Je me suis dit que c’était sauvegarder ma liberté d’expression que de continuer à penser cela, et de n’avoir pas plus aujourd’hui qu’hier envie d’acheter et de lire Charlie Hebdo. En prenant un peu de recul sur ce dernier numéro, j’ai eu le sentiment que Charlie était devenu pour beaucoup comme une bouée de sauvetage dans une mer de valeurs en perdition, un idéal un peu factice auquel se raccrocher. J’ai eu la conviction qu’il était capital au contraire de rester qui nous sommes, fidèles à nos convictions, et de ne pas suivre la masse à moins d’en être convaincu pour une excellente raison.

Alors au lieu d’acheter Charlie Hebdo, j’ai décidé de continuer à pleurer le drame humain en souvenir des victimes, et de laisser cette petite bougie sur mon blog en leur honneur, sans me demander si je suis Charlie ou pas. J’ai aussi décidé de ne pas oublier les atrocités perpétrées partout ailleurs dans le monde, et de me mettre, comme le disait très justement un de mes très bons amis, en urgence de vie, pour éradiquer la haine et la peur.

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